Lire la revue spéciale Ville de Pau
Découvrez quelques richesses de la ville de Pau, des lieux, des auteurs, des personnages célèbres, des chants et des fêtes...
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Une revue sur Pau ? Pourquoi pas ? Il nous a semblé, au moment de la préparer, que cela était nécessaire – il faut reconnaître que la capitale du Béarn n’a pas souvent été traitée par Reclams. Pourtant, le Félibrige gascon y est né le 2 janvier 1896, au 24 rue des Cordeliers à Pau, dans une maison appartenant à Adrien Planté, maire d’Orthez ; il s’y est réuni souvent pendant une cinquantaine d’années. La nouvelle association fut baptisée, sur la proposition de Pierre-Daniel Lafore, Escole Gastoû-Febus. Un bureau fut élu : présidents d’honneur, Vastin Lespy et Isidore Salles ; secrétaire d’honneur, Jean Passy ; président : Adrien Planté ; viceprésidents, le docteur Dejeanne et l’abbé Labaigt-Langlade ; secrétaires : Michel Camélat et Pierre-Daniel Lafore.
C’est à Pau que se réunirent, après cette naissance, le Bureau et le Comité, et c’est dans cette ville que la première revue vit le jour en février 1897 ; c’est ici aussi que l’Escòla invita Édouard Bourciez, professeur, philologue à l’université de Bordeaux, le 23 mars 1900, pour qu’il propose à l’Escòla une graphie que le Félibrige béarnais et gascon puisse utiliser et préconiser ; c’est dans cette ville qu’elle organisa la venue de Frédéric Mistral, à l’occasion des fêtes félibréennes de Pau, les 24, 25 et 27 mai 1901 ; un texte, plus loin dans ce numéro, vous raconte son arrivée à la gare de Pau.
Vous trouverez dans ce numéro des textes en prose et des poésies de nos prédécesseurs et aussi des générations suivantes. Bien sûr, les maîtres félibres préféraient la campagne à la ville, parce qu’ils pensaient que la langue y était encore vivante et respectée. Quand on lit Le Bal des célibataires de Pierre Bourdieu[1], on voit clairement que la langue avait déjà perdu, avant l’année 1940, dans les bourgs et les villes et tout particulièrement à Pau, sa valeur sociale et symbolique. Désormais, la langue française est la langue de la modernité, celle de l’école et donc celle de la promotion sociale. À tout le moins, pour certains…
1. Pierre Bourdieu, Le Bal des célibataires, crise de la société béarnaise, essais, éd. seuil, 2002.
Au milieu des années 1980, des passionnés de culture occitane, des conteurs, des chanteurs, des musiciens, des danseurs, des chercheurs ou, tout simplement, des amoureux de la langue et des coutumes du Béarn se sont appliqués à faire renaître un grand carnaval béarnais dans la ville de Pau. L’ambition était de rendre à la capitale du Béarn une fête populaire enracinée dans les pratiques ancestrales, pratiques disparues depuis des lustres.
Les oeufs, la farine et les confettis lancés dans les rues de la ville par les lycéens et les étudiants de Pau, les semblants de cortèges masqués de jeunes gens à l’esprit poète n’étaient plus que des évènements dénués de sens pour la plupart des badauds. Les Palois, devenus consommateurs des modes prescrites par la radio et la télévision, n’étaient plus concernés par la fête débridée et dévergondée du carnaval. Quelques villages et bourgades continuaient de fêter le carnaval selon les traditions, mais pour combien de temps ?
Cependant, d’aucuns ont estimé qu’il valait la peine d’aller puiser dans le riche patrimoine oublié du Béarn et des régions voisines, en l’adaptant à notre époque. Le Pays basque illustrait cela avec ses pastorales populaires.
L’enthousiasme généré par ce pari a suscité de nouveaux talents et a entretenu l’énergie sans laquelle les premières fêtes du carnaval se seraient rapidement délitées et enfin éteintes. Des personnes très diverses, et de tous âges, se sont lancées, sans hésiter, dans l’entreprise devenue aujourd’hui l’association Carnaval Pantalonada. Malgré cela, la première création du carnaval béarnais a été considérée avec beaucoup de scepticisme, ou de condescendance, par la plupart des gens de la « haute société béarnaise ». La suite prouvera qu’ils s’étaient trompés. Il y avait un espace pour une fête qui deviendra l’un des évènements les plus populaires de Pau. Jusqu’à quand ?
Avertissement :
Le texte qui suit est une fiction qui doit rester une fiction. Toute personne trop sensible, impressionnable, influençable, agoraphobe, psychopathe, dépourvue d’imagination ou d’éthique propre, non éduquée, mélancolique, haineuse, détraquée, sotte, sans jugeote, lunatique, fêlée, écervelée, mal intentionnée, ignorante, revêche, dingue, désorientée, arriérée, en manque d’empathie chronique, en mal de reconnaissance, misanthrope, mal lunée, profondément frustrée, irresponsable, atteinte de la caboche, dérangée, troublée, sans jugement, insensée, irritable, ou niaise, doit immédiatement abandonner la lecture de ce texte. Surtout, ne pas lire la suite ! S’il vous plaît.
En 1969, pour des raisons politico-mystiques, Charles Manson, commanditaire de l’assassinat de huit personnes, dont l’une était Sharon Tate, épouse de Roman Polanski, justifia ses crimes en déclarant qu’il avait été influencé par des chansons de l’Album Blanc des Beatles, paru en 1968, et notamment par le morceau Helter Skelter. Les Beatles étaient-ils diaboliques ou avaient-ils été mal interprétés ? (Il est à noter que trois des principaux protagonistes liés à la tragédie, McCartney, Manson et Polanski sont toujours vivants).
Anthony Burgess, auteur d’Orange Mécanique, aurait déclaré qu’il regrettait l’impact sur le public qu’avait eu l’adaptation de son roman au cinéma. En 1971, sortait le film de Stanley Kubrick. Son très grand succès fut lié, évidemment, à l’oeuvre écrite mais l’esthétique du film, l’incarnation des personnages et les musiques qui l’accompagnaient semblèrent avoir marqué les esprits fragiles. Quelques-uns de ceux-là furent séduits et enivrés par la violence somme toute expérimentable et ils passèrent à l’action dans le monde réel.
De la même manière, on dit que beaucoup de mafieux en seraient à imiter leurs représentations cinématographiques. Le cinéma de Martin Scorsese ou celui de Francis Coppola offriraient ainsi à de pauvres mafieux bas de plafond une vaste palette d’idées pour l’amélioration de leur apparence ou de leur comportement. Probablement afin de mieux exprimer leurs talents.
Je ne suis pas Anthony Burgess, ni Stanley Kubrick, ni Martin Scorsese ou Francis Coppola et encore moins Paul McCartney mais, comme je dus le révéler un jour lors de la présentation d’un recueil, des choses que j’avais écrites se sont réalisées.
Y a-t-il vraiment des personnes qui ont souhaité reproduire des scènes glanées parmi mes écrits ou bien ne sont-ce que de simples coïncidences ? Des prémonitions ? Quoi qu’il en soit, à cause de cela, j’ai cessé d’écrire pendant quelques années…
« Coneguda causa sia » ! si un imbécile prend au sérieux ce que j’écris ou si cela lui donne des idées, je ne veux en aucun cas en être responsable. Ainsi donc, si quelqu’un se reconnaît dans la liste exhaustive des esprits tourmentés, même s’il a un doute, merci d’abandonner cette lecture. Je suis conscient du fait que l’une des conséquences sera de faire baisser de moitié, voire des trois quarts, le nombre potentiel de lecteurs. Mais comme je ne suis pas payé, ou si peu, peu m’importe.
L’auteur
Pau, au foyer du Béarn, 1987
Nous sommes à quelques semaines du Grand Défilé. Chacun se démène pour terminer la fabrication de costumes, de masques, d’accessoires, de mannequins. On dirait une ruche ou plutôt une fourmilière. L’espace commence à manquer pour entreposer l’ensemble des créations.
« Ne touchez surtout pas à l’ours, c’est pas sec ! ». « Ah, tu hòu, t’es bien desséché, toi ! ». « C’est la peine de montrer les ours ! Comme ils disent à la Pierre-Saint-Martin, venez skier, les ours vous observent. Tu parles ! Y en a plus. Va demander à Maurin ce qu’ils font aux ours. » « Eh ! dis donc, toi ! l’écologiste, tu nous fatigues ! Tu sais bien que les derniers ours sont béarnais, ça signifie que les Béarnais les ont protégés… jusqu’à présent… » « Pas du tout ! C’est parce qu’ils n’ont pas fini de les exterminer ! » « De toute façon, l’homme a su se passer des dinosaures, comme le disait le grand savant de Bielle, donc on peut se passer des ours. » « Oui, tu déconnes ? Le grand sage de Bielle avait oublié que les hommes et les dinosaures ne s’étaient jamais rencontrés. Par contre, la relation entre les hommes et l’ours appartient à une histoire commune depuis des millénaires et… » « Voyons ! Qui a soif ? Il y a du café, du thé, un peu de blanc… » « Du vin pour moi. » « Café. » « Café. » « Thé. » « Thé. » «Thé. » « On dirait que vous appelez les chiens !!! » « Ha ! Ha ! Ha ! » « Et Joséphine qui a fait les crêpes ! » « Ah ! Quand même ! » « Moi, j’ai apporté un pastis béarnais. Mais je l’ai acheté ; je n’avais pas le temps de le faire. » « Figurez-vous qu’après-demain, on fait le pèle-porc, j’apporterai des miques. » « T’en a déjà de jolies, des miques ! » « Ouh là là ! Quelle finesse ! » « Comme tu dis ! » « Assez, allez, assez ! »
Malgré les petites querelles, le travail avançait, parce qu’il n’y avait pas de patron pour commander ni de sous à gagner. Celui qui était fatigué s’arrêtait, allait faire un tour ou rentrait à la maison. C’était le plaisir du bénévolat. Et puis il y en a qui, plutôt que de rester seuls à la maison ou en mauvaise compagnie, traînaient au Foyer. Le carnaval permettait ainsi pendant les semaines de préparation de revoir des amis, des relations anciennes ou de rencontrer d’autres personnes. Et puis, dessiner, découper, déchirer, peindre, coller, percer, coudre, attacher… et rêvasser, comme c’était agréable !
« Place, place ! Nous avons de nouveaux arlequins. » Un groupe de garçons et de filles arriva, ils semblaient intimidés, ou apeurés. Il est vrai que la salle principale du Foyer, avec tout le matériel et les créations mal rangées, était remplie. De plus, ceux qui s’affairaient s’étaient arrêtés pour observer et accueillir les visiteurs. C’étaient des pensionnaires d’une institution spécialisée, une structure d’aide à des personnes handicapées. Dès que furent achevées les présentations et les salutations, Marianne leur montra les costumes. Les visages s’éclaircirent. Chacun voulait passer le déguisement. Certains voulurent se déshabiller. « Non, pas ici, on va préserver notre intimité ! » « Vous pouvez aller à l’étage, à droite, il y a une petite salle… » Alors, le groupe monta, à la queue-leu-leu.
On entendit un grand tapage venant du dehors. Nous étions aux premiers jours de février mais il faisait doux. Dans le jardin, quelques pruniers, imprudents, fleurissaient. Des merles jouaient les merles, ils chantaient tellement bien ! Mais rapidement ils disparurent. Le vacarme s’approchait du Foyer. C’était la fanfare de Pontonx suivie par des badauds ramassés le long des rues. Ils avaient décidé de se présenter pour le carnaval de Pau.
Marianne leur dit qu’elle n’avait pas été avertie de leur venue et qu’il fallait voir avec le coordinateur pour la musique, Auguste. Celui-ci devait arriver en fin d’après-midi. Alors, tous les musiciens se regroupèrent devant l’entrée du Foyer et jouèrent une partie de leur répertoire. Peu de traditionnel au sens béarnais du terme, plutôt de la variété inspirée de musiques de bandas et d’airs de style espagnolisant « Et viva España… ! et compagnie. Mais les types ne se prenaient pas au sérieux et ils jouaient drôlement bien.
C’est à ce moment-là que le clown Free Lance, Boleador de Cojoncillos déboula. Personne ne le supportait. Il s’imposait partout, dans toutes les fêtes publiques, comme s’il avait été invité. Personne ne savait qui il était derrière son visage grimé. Depuis le retour du grand carnaval béarnais, el Boleador de Cojoncillos, comme on l’appelait, dès qu’il avait connaissance d’un évènement, débarquait avec son saxophone et balançait ses mélodies basiques. Outre le fait qu’il n’était qu’un rustre, c’était un opportuniste qui se contrefichait de la culture occitane.
S’il ne parlait ni béarnais, ni espagnol, il parlait français avec un accent difficile à déterminer, slave ? portugais ? flamand ? Chaque fois qu’il voyait des enfants s’approcher, il leur sautait quasiment dessus pour les faire rire avec des singeries pitoyables. Souvent, les plus petits se mettaient à pleurer ou bien l’observaient de travers, méfiants. Il faisait peur. Et il inspirait de la pitié ou de l’agacement aux adultes. Mais cela ne lui suffisait pas. Il s’énervait et houspillait les enfants qui ne voulaient pas rigoler, puis il prenait l’auditoire comme témoin de la valeur de son spectacle. Il était affreux et il était méchant !
Au bout d’un moment, ceux de la fanfare cessèrent de jouer. El Boleador avait produit son effet. Mettre les gens mal à l’aise et ôter l’envie de faire la fête. Comme il n’était pas totalement idiot, il finissait par lever le camp et s’en retournait dans l’anonymat des ruelles de la ville. En pestant. Un artiste incompris !
Le soir, à la réunion des responsables du carnaval, on passa en revue ce qui avait été fait et ce qui restait à préparer. Les contrats avec les artistes. Les recherches de compléments de financement. La distribution définitive des rôles pour le procès. Les partenariats avec le monde associatif et culturel. La communication. Tout cela était fait par des personnes non professionnelles, mais volontaires, et aucunement complexées dans leurs rapports avec les « autorités ». Certaines de ces autorités avaient bien compris qu’il serait bon d’accompagner, prudemment, ce renouveau du carnaval. Cela marcherait-il que ce serait bon pour l’image de la ville, de la banlieue, du département. Pour le moment, la région ne s’intéressait guère aux carnavaleux de Pau. Quand on aborda le sujet de la sécurité, quelqu’un murmura : « Cette espèce de clown, ça fait trois ans qu’il débarque pendant la préparation du Carnaval, il arrive quand ça lui chante et repart de la même manière… » « On a essayé de discuter avec lui pour lui proposer une participation mais il fait celui qui ne comprend pas. » « Il nous gonfle ! » « Et il n’est pas sympa. » « Il est lunatique ! » « T’as raison, il a un drôle de comportement. Qu’est-ce qu’on fait ? » « Que voulez-vous faire ? On s’en fout ! »
Jean-Luc Landi
(à suivre…)