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REVUE N°850 / 2019

Ce numéro de la revue littéraire Reclams offre un bel hommage à Marguerite Rimbaud-Arnautou, une figure de l'Escòla Gaston Febus, par Dominique Lekuona.

Dans la catégorie prose, vous lirez une nouvelle de grande sensibilité, Arroi sus blanc de Jausèp de l'Arriu, ou, plus amusante, La hemna modèrna au musèu de l'òmi, qui raconte le voyage à Paris d'un Palois, un voyage qui le chahute dans une capitale moderne et diversifiée, par Éric Gonzalès. Ou encore un chapitre de Bèth peu de sau de Jean-Louis Lavit. Vous ne manquerez pas le quatrième chapitre de votre "feuilleton" Un vièlh que legissiá de romans d'amor de Luis Sepúlveda, traduit par Joaquim Blasco.

Des poèmes vous invitent à vous évader : Ua dolor de Serge Javaloyès, trois courts poèmes catalans de celui qu'on peut appeler le plus grand poète catalan, Vicent Andrés Estellés et, enfin, la célèbre Cançon deu lin du Gersois Paul Tallez. 

Insolite. Nous verrons comment le spécialiste de microbiologie catalan, Antòni Noguès, a appris le gascon, par Anne-Pierre Darrées. 

Reclams vous propose aussi d'explorer quelques excellents livres : une nouvelle édition de la Chanson de la croisade albigeoise présentée par Maurice Romieu, Lo Papagai e lo Robòt de Sèrgi Gairal présenté par Jaume Jaussaud. Enfin, Gilles Fossat vous propose de découvrir le romancier provençal Pèire Pessamessa.

Vous n'oublierez pas de regarder la place de la langue sur internet avec Dominique Lekuona.

Et, pour commencer votre lecture, Maurice Romieu expose les nombreuses utilisations du suffixe -èr, -èra dans la langue gasconne. Une singularité amusante à découvrir, l'utilisation du mot larèr.

Bonne lecture !

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Articles en lecture libre

Editorial 850

Une nouvelle édition du Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay

dicc palay 218104453Après la réédition de 1995 du Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay, les éditions du CNRS arrêtèrent de le publier. Le Congrès Permanent de la Lenga Occitana (CPLO) sollicita l'éditeur il y a quelques années maintenant, dans le but de le republier en coédition avec les éditions Reclams de l'Escòla Gaston Febus (l'Escole Gastoû Febus, dont Palay était président de 1923 jusqu'à sa mort en 1965).

Le CNRS donna l'autorisation aux coéditeurs. Les ayant-droits — Madame Huguette Palay les représentait — en acceptèrent le principe et signèrent un contrat d'édition avec les coéditeurs. Aussitôt le contrat signé, le chantier fut lancé par le CPLO afin que nous puissions faire naître la nouvelle édition à la fin de l'année 2019.

Le chantier, nous le savions bien sûr, serait complexe et long. Il fallut, en fait, saisir le dictionnaire publié en 1980 avec ses annexes et les corriger plus d'une fois. Votre serviteur se chargea du premier travail (la saisie et les premières corrections), en y intégrant le supplément de l'édition de 1980, collecté par l'abbé Saint-Bézard qui s'était déjà chargé avec Palay de l'édition de 1962. Éric Gonzalès, qui est membre du Conseil linguistique du CPLO, fut chargé d'établir la nouvelle édition, tout en corrigeant le français et, quand ce fut nécessaire, le gascon.

Aussi, nous avons le plasir de vous annoncer que le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay, dans sa graphie originale, verra le jour pour les vacances de Noël 2019. Cette nouvelle édition sera accompagnée de deux préfaces, la première d'Éric Gonzalès qui traitera de la langue et de la graphie forgée par Palay ; la seconde de votre serviteur et de notre président sur l'histoire de cet ouvrage majeur de référence, qui est, nous le savons tous, plus qu'un dictionnaire. Pour finir, une souscription sera lancée début septembre 2019. Bien sûr, si vous voulez réserver votre exemplaire vous pouvez le faire d'ores et déjà à l'adresse suivante : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Le Palay aidera encore de longues années les courageux qui se démènent pour étudier notre langue.

Maurice Romieu et Serge Javaloyès

 

Une nouvelle édition de la Chanson de la croisade albigeoise

Chanson de la croisade albigeoise, préface et traduction de l’occitan par Claude Mourthé, illustrations de Jacques Fauché, Paris, Les Belles Lettres 2018, 23 p., 29,50€

La Chanson de la croisade albigeoise est une œuvre fondatrice de la littérature occitane du xiiie siècle ; c’est l’épopée de la conquête par une coalition de barons du Nord des terres du Sud (principalement les domaines du vicomte de Béziers et du comte de Toulouse), terres où est née la civilisation la plus brillante du monde médiéval occidental mais aussi un nouveau courant religieux que l’Église catholique considéra comme une hérésie : le catharisme.

Un manuscrit unique, deux auteurs

Le texte de la Chanson a été conservé par un manuscrit unique daté de 1275, probablement une copie du manuscrit primitif perdu, un manuscrit sans titre qui compte 9578 vers de douze syllabes (vers alexandrins). Les premiers spécialistes qui travaillèrent sur le manuscrit (manuscrit 25425 de la Bibliothèque Nationale) s’aperçurent que le texte de la Chanson avait été écrit par deux auteurs ; le premier, qui précisa son nom au début du texte :

El nom del Payre e del Filh e del Sant Esperit,
Comensa la cansos que maestre Guilhems fit,
Us clercs qui fo en Navarra, a Tudela, noirit...

Il écrivit les 131 premières laisses, 2772 vers en tout ; le deuxième n’est pas connu ; il écrivit les autres laisses : de 132 jusqu’à 214, soit 6800 vers ; les laisses sont très longues : la plupart comptent plus d’une centaine de vers.

Un œuvre majeure, peu d’éditions

Le texte du manuscrit fut publié pour la première fois en 1837 par Claude Fauriel, un historien-linguiste passionné par l’histoire, la civilisation et la littérature occitanes du Moyen-Âge. Comme le texte n’avait pas de titre, il en trouva un : Histoire en vers de la croisade contre les hérétiques albigeois.

Une deuxième édition, celle du romaniste français Paul Meyer, parut en 185, avec un titre simplifié et plus proche de la nature de l’œuvre : La chanson de la croisade contre les Albigeois.

C’était une traduction savante avec une longue introduction, le texte occitan, la traduction française, un lexique et des notes.

La troisième édition, plus récente et plus complète, en trois tomes, est celle d’Eugène Martin-Chabot, chartiste, « un des meilleurs connaisseurs de l’histoire et la civilisation médiévales dans la France du Midi » selon Charles Samaran, archiviste et historien très connu. C’est une édition savante, une édition de référence. La dernière réédition, la troisième, parut en 1961. Le texte occitan établi par Eugène Martin-Chabot a été repris dans les deux dernières éditions de la Chanson de la Croisade :

— celle de la collection « Lettres Gothiques » du « Livre de Poche » ; texte occitan avec une adaptation française de Henri Gougaud, 1989 ;

— celle des éditions « Les Belles Lettres » ; texte occitan avec une traduction française de Claude Mourthé, 2018.

Deux éditions très différentes

L’adaptation française de la collection « Lettres Gothiques » avait surpris les puristes mais, dans un avant-propos, l’auteur avait expliqué en quelques mots son choix d’une adaptation plutôt que d’une traduction littérale : « J’ai tenté de restituer, de rendre aussi perceptible que possible, de recréer enfin, en langue française, ce qui fut bâti, chanté en langue occitane… »

La dernière édition, celle des éditions « Les Belles Lettres », est plus classique finalement : le texte occitan est celui qui fut établi par Eugène Martin-Chabot ; la traduction française a été faite par Claude Mourthé. La traduction, en suivant le texte occitan, ne présente pas la littéralité qui caractérisait celle d’Eugène Martin-Chabot ; elle est faite vers à vers sans suivre systématiquement la structure de la phrase occitane : comme le format du livre est plus grand, la présentation typographique est plus claire, plus aérée ; la lecture en est plus facile. Le livre est illustré (pages doubles) de six photos en couleur qui reproduisent les peintures à l’huile sur bois, faites par l’artiste toulousain Jacques Fauché (1927 – 2013) ; elles sont tirées d’une série consacrée à la croisade contre les Albigeois.

Claude Mourthé, l’auteur de la traduction française, est connu comme réalisateur d’émission de radio (France Culture) et de télévision (TF1), comme auteur de romans, de poésies, d’essais et aussi comme traducteur en français d’auteurs anglais et nord-américains.

Cette édition met à la disposition d’un public qui n’est pas spécialiste un texte majeur de la littérature occitane du Moyen-Âge. Les notes en bas de chaque page donnent les éclaircissements nécessaires sur les lieux, les événements et les acteurs de la Croisade.

Voici un extrait de la laisse 213 (v. 107 – 120), l’avant dernière de la Chanson ; après la prise de Marmande (1219) et le massacre de sa population par l’armée du prince Louis de France (le futur Louis VIII), la ville de Toulouse prépare collectivement sa défense ; la traduction française est celle de Claude Mourthé :

Ez obreron ab joya totz lo pobles grossiers
Et tout le menu peuple de s'activer en joie,

E donzels e donzelas e donas e molhers
Damoiseaux et donzelles, dames et femmes mariées,

E tozetz e tozetas e efans menuziers,
Jeunes garçons et filles et enfants en bas âge,

Que cantan las baladas e los versetz leugers;
Entonnent des ballades, des airs pleins de gaîté,

E feiron las clauzuras els fossatz els terriers
Tout en édifiant des clôtures, en creusant des fossés,

Els gons e las barreiras els murs els escaliers
En bâtissant des barricades, des murs, des escaliers,

Ez ambans e corseiras e portals e solers
Et construisant ambans, coursières, portes et paliers,

E lhissas e arqueiras e dentelhs batalhiers
Issues de secours, archères, et créneaux protecteurs,

E bocals e gueridas e guisquetz traversers
Chicanes, guérites et guichets transversaux,

E trencadas e voutas e camins costeners.
De même que tranchées étayées et chemins latéraux.

Totas las barbacanas e celas dels gravers
Toutes les barbacanes, comme celles des grèves,

An lhiuradas als comtes e als fis capdaliers.
Sont confiées aux comtes et à leurs sûrs capitaines.

La vila es establida finament a doblers
Voilà la ville, donc, intelligemment renforcée

Contra l'orgolh de Fransa.
Contre l'orgueil de France.

Toulouse ne fut pas prise ; au bout de quarante jours de service de croisade, le prince Louis revient en France avec la plupart des barons français qui l’avaient suivi. Devenu roi de France en 1223, à la mort de son père, Philippe Auguste, Louis VIII reprit la croix contre les Albigeois en 1226. Ils conquirent Avignon et les principales villes du Midi : Nîmes, Carcassonne, Castres, Albi, sauf Toulouse. En retournant en France, il mourut au château de Montpensier, près de Riom. Son règne fut très court : trois ans. Mais, avec sa mort, la guerre contre le comte de Toulouse Raymond VII ne s’arrêta pas. L’Église et le pouvoir royal français continuèrent le combat, chacun avec son objectif : l’Église voulait tuer l’hérésie et le roi de France conquérir de nouveaux territoires. Les deux y réussirent au bout d’une cinquantaine d’années.

MAURICI ROMIEU

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