L’Ombre
L’OMBRE
FABIENNE VAYRETTE-PÉCHALI
Il m'avait donné un rendez-vous et je n'en savais rien.
Enfoui qu’il était le passé, noyé sous les larmes. Sans aucune envie d'y revenir. Jusqu'à ce matin de Pâques. Presque soixante ans plus tard.
Les voici. Cinq silhouettes grises, figées. Une lumière printanière les auréole délicatement. Ils sont si proches que je pourrais les toucher. Assise avec eux sur la margelle du vieux pont, la chaleur de la pierre me réchauffe. Je les regarde et j'attends. Pas besoin de les déranger. Ils sont si jeunes.
Lui, gracieux, élégant, un gamin sur les genoux. Et il est difficile à tenir, le frère... Il veut les fuir, se sortir de là. Déjà. Elle, un peu gauche dans sa robe blanche et toute courte, un sourire timide aux lèvres. Et un bébé sur les bras. Moi. Comme un petit paquet posé sur la cuisse. Dont elle ne semble pas savoir quoi faire.
Ils sont si jeunes. Et vulnérables. Soumis à l'objectif impérieux du photographe. L'homme au chapeau, tournant le dos au soleil matinal et dont on ne voit que l'ombre. La figure mauvaise de leur père et beau-père. Qui les dominera tous, si orgueilleux et égoïste qu’il était.
Jusqu'à sa mort. Et au-delà. Comme un sort jeté.
Cet homme qui précisera derrière la photo :
Lundi de Pâques – 1963 – Pont Saint Pierre
Avec l'écriture fine du lettré qu’il était.