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Editorial 851

Jean-Baptiste Laborde

Le Dictionnaire du Béarnais et du Gascon de Simin Palay

J’ai trouvé, il y a peu, ce texte de Jean-Baptiste Laborde (1878-1963), abbé, historien et écrivain, membre fidèle de L’Escole Gastoû Febus, dans la rubrique habituelle « Monde et choses de chez nous » du Reclams de mai 1934. L’auteur nous parle de la naissance du Dictionnaire du Béarnais et du Gascon modernes de Simin Palay en deux tomes (1932 et 1934). Il m’a paru que cet article illustrait la naissance de la grande œuvre de Simin Palay. Comme annoncé au n°850, nous publierons sa réédition pour noël prochain. D’autre part, vous trouverez dans ce numéro un bon de souscription qui vous permettra de bénéficier d’un prix avantageux.

S.J.

Le dictionnaire est sorti des presses de Marrimpouey. Il est parti en deux livres de belle taille : en tout, il fait plus de 1 200 pages in-8° et contient quelque chose comme 60 000 mots ou articles.

Avant de sortir l’œuvre, il a fallu au président Simin Palay, cinq ans de travail patient, de recherches savantes et ennuyeuses ; quand il prétend ne pas avoir passé un seul jour, pour ainsi dire, de ces cinq ans sans y prêter la main, et qu’il lui est arrivé de faire des journées de plus de huit heures, je ne peux le croire.

Collecter des mots, c’est une affaire, pour sûr, mais ce n’est pas tout. Le mendiant aussi entasse dans sa besace tout ce qu’il trouve ou tout ce qu’on lui donne, mais tout ce ramassis fait une mixture peu agréable, un rata difficile à digérer. Classer ces mots dans la rangée qu’il faut, les insérer comme les grains de pois dans la cosse, trouver leur justification pure, juste, la nuance, comme on dit en français, de chaque terme, mettre ces mots avec ses semblables, chercher les expressions savoureuses et alertes qui trainent perdues dans la mémoire populaire, cela n’est pas viande pour tout estomac. Il ne suffit pas de vouloir, il faut savoir.

Le Majoral[1] Palay dit que, pour accomplir une telle œuvre, il n’a pas manié le harnais tout seul. On l’a aidé, on lui a donné de beaux coups de corde. Ce n’est pas un petit mérite que de savoir trouver l’aide qu’il faut quand il faut. Le maître d’œuvre qui a monté une cathédrale n’a pas non plus pioché chaque pierre du monument. Pourtant, ne demeure que le nom de celui qui agencé le plan. Ici aussi, le Dictionnaire porte la signature de Maître Palay. Lui qui est et restera le maitre d’œuvre. Il en aura l’honneur et on lui doit.

Si je loue le Dictionnaire, il y a plusieurs raisons à cela et je vais vous en donner les éléments. Pour capter les mots, Simin Palay a fait comme celui qui va ramasser les champignons ; les cèpes ne se ramassent pas dans les jardins des villes, mais dans les thalwegs, les fougeraies, les châtaigneraies isolées. Les maitres, les professeurs de langue maternelle sont les gens des champs, les petites vielles qui n’ont pas baragouiné le français, ceux qui se sont peu éloignés du cri de leur coq. Ces mots de bonne espèce une fois recueillis, il les a rassemblés par famille, suivant leur parenté, et il ne faut pas courir Sagorre et Magorre[2] pour trouver la parenté qui les lie. C’est un travail fait avec méthode. Ce qui fait aussi la nouveauté, c’est qu’il a marqué les synonymes et cela montre de la richesse de notre langage, cela fournit une aide majeure à qui veut comprendre les nuances les plus fines du parler de chez nous.

Un mot tout humble, tout isolé, c’est comme qui dirait un être décharné sans suc ni vie. Mais ce mot lié à d’autres fait un proverbe, une comparaison, une expression, une locution qui tire au proverbe, et là il y a de la couleur, de la vie, du nerf, de l’arôme juteux et odorant.

Le proverbe, la locution montrent le vrai visage du parler populaire. Traduisez-les dans une autre langue, vous ne trouverez pas dans cette traduction le piment de l’expression d’origine, et il faut avoir tété en naissant ces façons de parler pour pouvoir deviner tout ce qu’elles contiennent. Ces locutions, sorties d’un peuple, miroir d’un peuple, soleil d’un chez soi, Palay peut les grapiller. Elles sont rares celles qu’il a oublié de ranger, collecteur compris. À mon avis, voici la sélection du Dictionnaire : la moëlle, le cœur de la langue est ici. De plus, le Dictionnaire n’est pas un cimetière où dorment dans un caveau les termes morts et peut-être oubliés. Non, c’est comme un verger, un jardin où la vie s’épanouit.

Il est comme un jardin chéri, de fleurs toutes bariolées

selon le verset berçant du Seigneur. Ceux qui veulent comprendre la finesse de notre langue, trouveront ici la clé du secret ; ceux qui veulent écrire un béarnais élégant et coloré, et non pas un jargon abâtardi et pesant, trouveront ici le mètre-étalon, le matériau solide comme les pierres des Vallées.

Chaque lieu, chaque personne porte un nom et ces noms veulent dire quelque chose ; ils n’ont pas été donnés comme ça à la légère. Pour certains de ces noms, la source dont ils ont jailli est établie ; le mot qui avait servi à nommer tel ou tel lieu, telle ou telle famille, est tombé dans l’oubli. Trouver sur quelle racine a poussé le nom de notre maison, le nom avec lequel nous signons, n’y en a-t-il pas plus d’un d’entre nous qui a la curiosité de la connaitre ? Avec le Dictionnaire, celui qui veut chercher aura une explication sûre et vraie.

Coutumes, travaux à l’ancienne, passe-temps, divertissements, jeux d’enfance, tant de petites choses qui s’en iraient sur la voie de la recherche, si quelque vaillant ne les avait amassées pour notre plaisir, pour notre bénéfice ? Ils feront une bonne récolte avec le Dictionnaire ceux qui aiment les coutumes d’autrefois, la vie du monde du temps passé.

Gerbes et fleurs des champs et des jardins, gibier et poissons, oisillons et volaille, tout a un nom pour sûr, mais le connais-tu ami ? Rares sont ceux qui pourraient nommer comme ça chaque petite chose. Grâce au Dictionnaire, on pourra en savoir long sur le sujet.

Les têtes de Gascogne, ceux qui ont écrit dans la langue, poètes ou prosateurs sont ici notés avec l’indication de leur œuvre majeure. Les saints populaires, qui ont laissé un souvenir en quelque source guérisseuse, dans un beau proverbe, ont trouvé aussi la main pieuse qui les a unis au bouquet d’un souvenir.

Les mots qui ont voleté sur les lèvres des grands-parents, ce qui a fait palpiter le cœur de nos devanciers, ce qui a fait rire, ce qui a fait pleurer, ce qui porte l’écho de notre civilisation, ici est totalement pur, entier.

L’Histoire conserve et fait revivre le passé, mais Elle parle surtout des événements, de la vie, des guerres des grands, des notables. L’histoire des petits, de leurs inquiétudes, de leurs plaisirs, de leurs petits travaux, où est-elle ? Où est-elle ? Dans un Dictionnaire comme celui-ci. Proverbes, chants, locutions, badineries, plaisanteries et moqueries, sobriquets entre villages, cela aussi est un morceau d’histoire, l’histoire des petites gens. Loué et superloué soit le président Simin Palay qui a dressé cette œuvre, la plus belle d’entre les plus belles, sous le ciel de Pau ! Le poète latin disait, en parlant de lui-même : Exegi monumentum ! (J’ai bâti un monument). Maître Palay aurait peut-être peur de passer pour un vantard s’il mettait ces deux mots sur la couverture de son livre. Mais nous qui regardons sa tâche, nous avons le droit de le clamer : avec le Dictionnaire, vous avez érigé un monument de taille à l’honneur du Béarn et de la Gascogne. Vous avez sauvé une richesse. Vous avez construit un Trésor. Il n’attrapera jamais ni la rouille, ni le charançon.

P.-S. — Le 1er mai (ndr. 1934), l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse a fait le don d’un prix de mille livres au Dictionnaire.



[1]NdT1 : Majoral : titre porté par chacun des cinquante membres du comité directeur du Félibrige, mouvement de promotion des langues régionales, faisant autorité.

[2] NdT2 : Córrer Sagòrra e Magòrra : litt. courir Sagorre et Magorre, vagabonder, hanter les lieux mal famés

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