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Une nouvelle édition de la Chanson de la croisade albigeoise

Chanson de la croisade albigeoise, préface et traduction de l’occitan par Claude Mourthé, illustrations de Jacques Fauché, Paris, Les Belles Lettres 2018, 23 p., 29,50€

La Chanson de la croisade albigeoise est une œuvre fondatrice de la littérature occitane du xiiie siècle ; c’est l’épopée de la conquête par une coalition de barons du Nord des terres du Sud (principalement les domaines du vicomte de Béziers et du comte de Toulouse), terres où est née la civilisation la plus brillante du monde médiéval occidental mais aussi un nouveau courant religieux que l’Église catholique considéra comme une hérésie : le catharisme.

Un manuscrit unique, deux auteurs

Le texte de la Chanson a été conservé par un manuscrit unique daté de 1275, probablement une copie du manuscrit primitif perdu, un manuscrit sans titre qui compte 9578 vers de douze syllabes (vers alexandrins). Les premiers spécialistes qui travaillèrent sur le manuscrit (manuscrit 25425 de la Bibliothèque Nationale) s’aperçurent que le texte de la Chanson avait été écrit par deux auteurs ; le premier, qui précisa son nom au début du texte :

El nom del Payre e del Filh e del Sant Esperit,
Comensa la cansos que maestre Guilhems fit,
Us clercs qui fo en Navarra, a Tudela, noirit...

Il écrivit les 131 premières laisses, 2772 vers en tout ; le deuxième n’est pas connu ; il écrivit les autres laisses : de 132 jusqu’à 214, soit 6800 vers ; les laisses sont très longues : la plupart comptent plus d’une centaine de vers.

Un œuvre majeure, peu d’éditions

Le texte du manuscrit fut publié pour la première fois en 1837 par Claude Fauriel, un historien-linguiste passionné par l’histoire, la civilisation et la littérature occitanes du Moyen-Âge. Comme le texte n’avait pas de titre, il en trouva un : Histoire en vers de la croisade contre les hérétiques albigeois.

Une deuxième édition, celle du romaniste français Paul Meyer, parut en 185, avec un titre simplifié et plus proche de la nature de l’œuvre : La chanson de la croisade contre les Albigeois.

C’était une traduction savante avec une longue introduction, le texte occitan, la traduction française, un lexique et des notes.

La troisième édition, plus récente et plus complète, en trois tomes, est celle d’Eugène Martin-Chabot, chartiste, « un des meilleurs connaisseurs de l’histoire et la civilisation médiévales dans la France du Midi » selon Charles Samaran, archiviste et historien très connu. C’est une édition savante, une édition de référence. La dernière réédition, la troisième, parut en 1961. Le texte occitan établi par Eugène Martin-Chabot a été repris dans les deux dernières éditions de la Chanson de la Croisade :

— celle de la collection « Lettres Gothiques » du « Livre de Poche » ; texte occitan avec une adaptation française de Henri Gougaud, 1989 ;

— celle des éditions « Les Belles Lettres » ; texte occitan avec une traduction française de Claude Mourthé, 2018.

Deux éditions très différentes

L’adaptation française de la collection « Lettres Gothiques » avait surpris les puristes mais, dans un avant-propos, l’auteur avait expliqué en quelques mots son choix d’une adaptation plutôt que d’une traduction littérale : « J’ai tenté de restituer, de rendre aussi perceptible que possible, de recréer enfin, en langue française, ce qui fut bâti, chanté en langue occitane… »

La dernière édition, celle des éditions « Les Belles Lettres », est plus classique finalement : le texte occitan est celui qui fut établi par Eugène Martin-Chabot ; la traduction française a été faite par Claude Mourthé. La traduction, en suivant le texte occitan, ne présente pas la littéralité qui caractérisait celle d’Eugène Martin-Chabot ; elle est faite vers à vers sans suivre systématiquement la structure de la phrase occitane : comme le format du livre est plus grand, la présentation typographique est plus claire, plus aérée ; la lecture en est plus facile. Le livre est illustré (pages doubles) de six photos en couleur qui reproduisent les peintures à l’huile sur bois, faites par l’artiste toulousain Jacques Fauché (1927 – 2013) ; elles sont tirées d’une série consacrée à la croisade contre les Albigeois.

Claude Mourthé, l’auteur de la traduction française, est connu comme réalisateur d’émission de radio (France Culture) et de télévision (TF1), comme auteur de romans, de poésies, d’essais et aussi comme traducteur en français d’auteurs anglais et nord-américains.

Cette édition met à la disposition d’un public qui n’est pas spécialiste un texte majeur de la littérature occitane du Moyen-Âge. Les notes en bas de chaque page donnent les éclaircissements nécessaires sur les lieux, les événements et les acteurs de la Croisade.

Voici un extrait de la laisse 213 (v. 107 – 120), l’avant dernière de la Chanson ; après la prise de Marmande (1219) et le massacre de sa population par l’armée du prince Louis de France (le futur Louis VIII), la ville de Toulouse prépare collectivement sa défense ; la traduction française est celle de Claude Mourthé :

Ez obreron ab joya totz lo pobles grossiers
Et tout le menu peuple de s'activer en joie,

E donzels e donzelas e donas e molhers
Damoiseaux et donzelles, dames et femmes mariées,

E tozetz e tozetas e efans menuziers,
Jeunes garçons et filles et enfants en bas âge,

Que cantan las baladas e los versetz leugers;
Entonnent des ballades, des airs pleins de gaîté,

E feiron las clauzuras els fossatz els terriers
Tout en édifiant des clôtures, en creusant des fossés,

Els gons e las barreiras els murs els escaliers
En bâtissant des barricades, des murs, des escaliers,

Ez ambans e corseiras e portals e solers
Et construisant ambans, coursières, portes et paliers,

E lhissas e arqueiras e dentelhs batalhiers
Issues de secours, archères, et créneaux protecteurs,

E bocals e gueridas e guisquetz traversers
Chicanes, guérites et guichets transversaux,

E trencadas e voutas e camins costeners.
De même que tranchées étayées et chemins latéraux.

Totas las barbacanas e celas dels gravers
Toutes les barbacanes, comme celles des grèves,

An lhiuradas als comtes e als fis capdaliers.
Sont confiées aux comtes et à leurs sûrs capitaines.

La vila es establida finament a doblers
Voilà la ville, donc, intelligemment renforcée

Contra l'orgolh de Fransa.
Contre l'orgueil de France.

Toulouse ne fut pas prise ; au bout de quarante jours de service de croisade, le prince Louis revient en France avec la plupart des barons français qui l’avaient suivi. Devenu roi de France en 1223, à la mort de son père, Philippe Auguste, Louis VIII reprit la croix contre les Albigeois en 1226. Ils conquirent Avignon et les principales villes du Midi : Nîmes, Carcassonne, Castres, Albi, sauf Toulouse. En retournant en France, il mourut au château de Montpensier, près de Riom. Son règne fut très court : trois ans. Mais, avec sa mort, la guerre contre le comte de Toulouse Raymond VII ne s’arrêta pas. L’Église et le pouvoir royal français continuèrent le combat, chacun avec son objectif : l’Église voulait tuer l’hérésie et le roi de France conquérir de nouveaux territoires. Les deux y réussirent au bout d’une cinquantaine d’années.

MAURICI ROMIEU

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